Dégoût prime

La permission est rarement accordée à l’art de s’affranchir du cadre, admis par l’époque, de ce qu’est le réalisme. Ainsi entendons-nous souvent qu’on n’y croit pas, que la chose est exagérée, ou fausse, ou que la distance trop vaste entre le morceau d’art et son contemplateur entrave l’osmose de deux solitudes.
Les arts graphiques tendent au photoréalisme, la tragédie cède au drame, et réclame-t-on déjà que l’auteur se résigne aux lexique et grammaire aisément tenus par toute bouche. C’est que la nécessité de clarté directe détruit peu à peu le maigre pays des rêves malades, afin d’y planter son drapeau de lumière éclatante, naturelle, comme un soleil d’après-midi d’été n’a nulle intention d’apaiser sa guerre contre la nuit.
Les mathématiques appliquées corrodent la mathématique pure, les échecs se jouent à hauteur humaine depuis que les puissances artificielles se sont élevées à cet horizon inaccessible de main, et toute science s’est résignée à prévoir plutôt que deviner. Il n’y a donc rien d’étonnant à constater que l’expression en vogue soit à l’imitation de ce qui est là, donné — voire à sa façon simplifiée, plus proche, plus facilement compréhensible, assez prête à l’entendement immédiat pour saisir l’accommodement commun.

De l’obsession immodérée qu’on a de vouloir butiner du monde entière la fleur — de ne pas se livrer à quelque orphelin parfum — vient cette crevaison de l’imaginaire. Le réalisme est une arme fasciste. L’interdiction à l’écart du songe nous rend serviles du moment à venir, sans nous permettre de l’aiguiser à notre force désireuse d’infini — nous distordant toujours à la mine esclave et couchée des existences faibles. Le réalisme est cet outil d’extrême-droite condamnant l’ailleurs. Adieu mensonge ! À mort légende ! Au dam feinte ! Le bagne nous sera de vouloir ce qui est. — Et nous l’aurons voulu.

Nous irons déguster le même plat recet, nous vivrons dans ces lieux commodes de la vie, nous jetterons des pierres aux drogues de l’absence, nous nous emparerons des choses telles quelles, et, dans notre élan sûr, nous cracherons gaiement sur le visage flou, ténébreux et cruel de l’ange de la mort, hautain et irréel.

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